Autoportrait
Il me semble qu’entre l’inavouable, l’intimisme, le travail qui avance, la matière qui me surprend, le facteur temps, il est difficile de faire une synthèse de paramètres plus ou moins inconnus. L’on ne peut que composer, c’est vraisemblablement le problème de la création.
Lorsque je réalise une sculpture et la considère terminée, je ne peux que la constater et l’abandonner, comme elle se fige dans l’instant, ponctualisée.
En brisant la plénitude physique du verre qui, elle, défie le temps, je tente de restituer par la magie de la transparence et de la translucidité, un relief idéal, imaginaire, qui permet de mieux voir et de suggérer.
L’adjonction de graphismes imprévisibles parfois, la recherche dans l’ambiguïté des fonctions et des formes est le but poursuivi d’une autonomie plastique de mes objets. Je considère la matière individualisée. Je la charge d’inconscient que j’obtiens en maniant l’abstraction du réel et des techniques sur l’instant, ce qui me permet d’atteindre une expression très gestuelle dans laquelle l’inconscient collectif, notre époque devraient se sentir.
Le travail avec certaines meules et le jet de sable sous de très fortes pressions que j’utilise comme outil d’érosion rapide, me sert à rattraper l’idée mouvante que je m’étais faite de l’objet. Ce qui reste de cette abrasion est le passé qui l’a produite, le présent immédiat, le futur en attente, comme une contraction.
Par contraste et envie de ponctuer mes recherches en les stigmatisant, je conçois par paliers des pièces de rigueur dont l’élaboration vient à pas lents et sur lesquelles je fais le point. L’envie de transmettre, de communiquer hors des frontières habituelles, me rend avide de chercher, de donner sans cesse, de tenter de comprendre.
François Vigorie
SCULPTEUR SUR TRANSPARENCE
Sculpteur sur verre : ainsi s’intitule François Vigorie. Pourquoi sculpteur plutôt que verrier ? « A partir du moment où l’on crée des creux et des bosses, où l’on taraude comme avec un burin … ».
Son burin à lui, son « outil d’érosion » comme il l’appelle, est le plus souvent le jet de sable sous très fortes et variables pressions. Son matériau est le bloc de cristal, la dalle de verre, et, surtout, le verre d’optique à cause de son extraordinaire limpidité.
La transparence introduit dans la sculpture une nouvelle dimension. Pour ne pas dire plusieurs. Elle complique tout, multiplie les apparences par le jeu des formes qui se prolonge au-dedans de la matière, s’y répercute, s’y modifie selon le point de vue, la lumière, mystifiant indéfiniment le regard.
François Vigorie parle de « sculpture totale ». Sculpture à la fois figée dans le verre et mouvante dans l’espace. La matière translucide est merveille d’ambigüité : plus elle laisse voir, davantage elle accroit son mystère. Enigme de reflets. On ne comprend jamais tout à fait. La connaissance des lois physiques n’enlève en rien au sortilège. Images réelles, virtuelles, inversées, reflétées, réfléchies, réfractées, même expliquées demeurent surréalistes.
François Vigorie en use avec virtuosité. Dominant absolument sa technique, il joue et se joue des difficultés, concilie des effets que l’on pensait techniquement incompatibles, mettant sans cesse au point des solutions qui sont autant d’inventions. Il imagine en transparence et crée mentalement à l’envers les motifs et les formes, les effets voulus, compte tenu des effets d’optique. A force d’habitude, il voit spontanément en six, sept dimensions. Travail réfléchi, c’est le cas de le dire.
Si la gravure au jet de sable et le cristal d’optique ont permis à Vigorie de produire ses œuvres le plus originales et les plus remarquées, il a pratiqué également toutes les sortes de gravures traditionnelles : grattage sur tain, entaille sur glace à l’ancienne à la pointe ou à l’acide, travail à la meule, forage au trépan diamanté.
Auparavant, il avait acquis une habilité manuelle peu commune, grâce à la variété des domaines auxquels il s’est successivement intéressé, le temps d’y acquérir une technique nouvelle.
Ce girondin d’origine, parisien depuis sa prime enfance, a suivi après les études secondaires au lycée Henri IV, une formation en électricité mécanique industrielle. Il fera ensuite l’apprentissage de la dorure sur bois, puis de fil en aiguille, de l’encadrement d’art, de la restauration de cadres anciens, enfin de miroirs. C’est le premier contact avec la glace, le verre et le début d’une inlassable et fructueuse curiosité.
Dès 1975, ce polytechnicien au sens littéral, effectue des recherches sur les procédés d’argenture ancienne, de gravure, de polissage, de peinture sur verre, puis en 1978, découvre la gravure au jet de sable.
Ses premières œuvres sont des miroirs gravés et peints et des objets gravés à plat.
A 28 ans, en 1981, il installe un atelier rue du Pré aux Clercs, paisible prolongement de la rue Saint-Guillaume, à Saint- Germain -des -prés, dans ce qui fut l’échoppe d’un artisan bottier sur mesure, son grand-père. Au même endroit, que ne trouble guère le passage des très « corrects » élèves de Sciences-Po, croisant ceux de l’E.N.A. qui leur ressemblent comme de grands frères, il ouvre aussi une petite galerie d’exposition au nom tout simple, nécessaire et suffisant : « Transparence ».
Lorsque François Vigorie pénètre dans sa cabine de sablage, équipé d’un scaphandre, on croirait voir un cosmonaute. Il intègre, il est vrai, un autre univers. Il a tracé, quadrillé son projet, mais il ne l’a pas dessiné. Il le « voit » et ses gestes le réalisent avec vigueur et précision.
« En brisant la plénitude physique du verre, qui, elle, défie le temps, je tente de restituer, par la magie de la transparence et de la translucidité, un relief idéal, imaginaire qui permet de mieux voir ou de suggérer ».
François Vigorie économe de paroles comme de gestes, n’exprime que pour signifier. Comme rassemblé autour de son monde intérieur, il est loin d’être transparent, en somme.
Il n’est pourtant pas difficile de déceler que l’insatiable curiosité à propos de la transparence, est devenue une passion de tous les instants. Le calme apparent, et la sobriété du discours, n’empêche pas de deviner l’ébullition intérieure que suscite la nécessité impérieuse de chercher, de trouver, de créer. Comme tous les véritables créateurs, Vigorie est en proie à une sorte d’avidité, celle d’exercer son pouvoir de création, de l’éprouver, de l’augmenter sans cesse. L’angoisse de la page blanche, dont parle, aussi, Vigorie, ce n’est pas le manque d’inspiration, c’est plutôt le vertige devant la multiplicité des possibles.
Les images, les idées se précipitent, se bousculent jusqu’à l’ »insight » final.
François Vigorie a déjà d’autres techniques en tête, d’autres expériences en projet. L’éventail des explorations à tenter lui parait infiniment vaste. Il sait qu’il faudra se restreindre, éliminer, choisir : rude discipline. Il sent aussi que le temps n’est pas encore tout à fait venu d’opter pour une voix unique.
A trente deux ans, Vigorie vient de présenter sa cinquième exposition à la boutique galerie « Quartz » rue des Quatre Vents qui n’abrite guère les à bout-de-souffle.
Des pièces signées Vigorie ont déjà consacré l’artiste, elles figurent dans les musées du Nord, de Bordeaux, de Rouen, et enfin des Arts Décoratifs à Paris.
Ce jeune maître dont les coups d’essais ont été péremptoires, n’a pas d’élève, ni d’auxiliaire, ni d’homologue dans le métier. Sa recherche est unique, se démarque totalement de celles de ses contemporains. Il ne s’intéresse pas aux démarches des autres verriers, trop accaparé par la sienne.
Absolument solitaire est son travail, accompli dans l’ombre pour aboutir, au terme de recherches infinies, à des œuvres lumineuses, resplendissantes. Vases, lentilles gravées, sculptures proprement dites, tables d’une rare beauté…
Vigorie possède à l’évidence les deux gages indispensables de la réussite : la légitime confiance en soi que confère le talent incontesté, quand il est doublé d’exigence, de rigueur, de travail acharné ; et la fièvre créatrice qu’inspire sans doute, la certitude d’avoir, par le biais d’une passion, trouvé son élan, sa vérité, le sens d’une existence, peut-être.
Magali Lucas-Fabreguettes ©
Rédactrice en chef
Demeures et Châteaux n° 33-1986
FRANCOIS VIGORIE OU LE LANCIER DE L'IMMATERIEL
Le travail de François Vigorie s’articule autour d’une pratique polymorphe de la sculpture du verre qui a parfois occulté l’essentiel de sa démarche : la recherche du mouvement au travers des effets de la lumière. Se Situant dans ce créneau étroit d’une recherche sur les volumes, optant résolument pour une conception artistique contemporaine, il a imposé sa propre vision esthétique par le biais de sa technique de travail au jet de sable sous pression, issue de l’artisanat et de l’industrie.
En effet, ce type spécifique de gravure sur un support de verre est né aux environs de 1880 et servait principalement à des fonctions décoratives.
Né en 1953 en Gironde, François Vigorie a par la suite rejoint Paris, a été élève deux ans dans une école d’ingénieur, puis a ensuite travaillé chez un artisan où il a mis au point les rudiments techniques de cette nouvelle pratique. Il s’initie d’abord à la gravure au jet de sable en aplat, avant de passer à des matières plus épaisses, jouant sur les reliefs, les creux et les bosses, redéployant tous les savoirs de la sculpture par le biais de ce burins en devenir. La découverte des vitraux, dans les églises bretonnes laissées à l’abandon, à l’occasion de randonnées durant les années 70, témoigne de son vif intérêt pour le verre et ses dérivés.
Naissance d’une passion et d’une vocation. Depuis 1996 son atelier se trouve en Corrèze.
En 1982, lors d’une exposition collective au Musée des Arts Décoratifs, il découvre les travaux d’une artiste allemande extrêmement prometteuse, Jutta Cuny (disparue accidentellement depuis). Elle pratique également, depuis 1975, cette approche de la sculpture à l’aide d’une lance de sable sous pression. Les deux artistes ont œuvré chacun de leur côté sans savoir ce que faisait, se positionnant dans une antériorité certaine pour l’utilisation de ladite technique dans le domaine sculptural.
Le principe général de l’approche plastique de François Vigorie se trouve mis en place à partir de 1978.
Il va réaliser de la sculpture transparente en taille directe. La rapidité d’exécution l’oblige à n’avoir ni repentir, ni tâtonnement, ni erreur d’aucune sorte. Il dessine directement sur le matériau et travaille en inversé, c’est-à-dire qu’il opère à l’envers, pour aboutir à une forme à l’endroit.
Cet effet de va et vient, de lecture plurielle sans cesse mouvante, met en relief les effets invisibles de la sculpture, la lumière changeant indéfiniment les points de vue. Cette vision en trois ou quatre dimensions (hauteur, longueur, largeur, profondeur) complexifie singulièrement le résultat final.
Ce qui demeure caché (« l’essentiel est invisible pour les yeux ») peut apparaître en fonction de l’éclairage ou du déplacement du spectateur. Certaines fois le motif seul apparaît, d’autres fois des mouvances abstraites possèdent une existence éphémère. L’existence d’une peau interne et d’une autre externe confirment la position de Janus. Ses pièces demeurent mystérieuses, énigmatiques et poétiques. Un rapport paradoxal s’établit entre la massivité du bloc de verre industriel et l’immatérialité de certaines formes entrevues à l’intérieur.
Cette naissance d’un univers virtuel (volutes tourmentées, écharpes de brume, coulées de lave translucides, fumerolles gazeuses, brouillards incertains, tourbillons irréels, nuages vaporeux, zébrures caressantes, striures langoureuses, griffures olympiennes, etc.) transcende le simple rapport formel extérieur.
L’intérieur possède alors une vérité qui se dégage des contraintes du matériau, les creusements extérieurs ne servant le plus souvent qu’à préparer recherche intérieure de la transparence et des effets de la lumière.
Si certaines sculptures possèdent des formes plus anthropomorphes que d’autres, les volumes optent d’habitude pour une dominante abstraite. Son travail sur les plaques de verre concerne une expression plastique verticale, relevant du domaine de la fresque et évoquant des bas reliefs inversés. Les textures différentes du verre l’amènent à réaliser des motifs différents, ceux-ci devenant floraux, aquatiques ou minéraux. Certaines mini-fresques, aux formes circulaires ou géométriques de dimension variable, reposent sur des pieds de métal, leur permettant de tenir toutes seules et verticalement. Au niveau de leur réalisation, un premier motif peut se trouver détruit pour en obtenir un suivant, cette approche en strates lui permettant d’aboutir à un motif final.
François Vigorie effectue également des essais sur d’autres matériaux comme le marbre, le bois ou l’aluminium.
Le marbre, traité seul, présente des épaisseurs très fines par rapport à la sculpture traditionnelle, avec des possibilités de vides et de perforations volontaires qui délimitent une écriture récurrente.
Une abrasion rapide change la donne, la transparence ne se trouvant pas entièrement réalisable.
Certaines sculptures combinent alors verre et marbre, matériaux complémentaire qui ouvrent de nouvelles combinatoires assez hardies.
Depuis 1976, il explore la gravure à plat et la feuille d’or, établissant un rapport au temps, à la miniature et à l’icône. Ces œuvres, minutieuses et parfois même maniéristes, qui auraient pu être réalisées il y a un siècle et demi, évoquent des univers nostalgiques et surréels.
En ce qui concerne la genèse de l’œuvre, il existe peu de références artistiques, à part la découverte des peintures de Jean Hélion et le soutien de Juliette Man Ray.
François Vigorie ne déclare-t-il pas : « je n’ai pas de regard extérieur » mais demeure fasciné parle scintillement des glaces, le mouvement de la mer, l’irisation des étangs, brefs les milieux aquatiques et leurs multiples variations saisonnières. Ces références appartiennent à sa petite enfance à la campagne et rejoignent celles des japonais par rapport à leurs paysages, intégrant le concept de la nature dans une vision culturelle est esthétique.
En le situant dans l’histoire de l’art Gérard Xuriguera établit une correspondance avec les recherches de Naum Gabo (abolition du volume au profit des vides actifs et utilisation de matériaux transparents).
On citera également celles de son frère, Antoine Pevsner.
Une autre facette, moins connue, des activités de François Vigorie concerne ses interventions avec les milieux d’architecturaux. Divers projets se trouvent en cours, dont celui de l’hôtel Ritz, où il réalise l’aménagement complet d’une entrée de piscine située à l’intérieur de l’établissement et dénommée Atrium. Ce dernier comprendra un grand comptoir circulaire d’environ sept mètres de diamètre, des présentoirs, un dessus de bar et des entrées latérales. Une sculpture centrale en forme de colonne en occupera le centre et l’ensemble se composera de fresques avec motifs aquatiques, réalisés sur des panneaux en verre sculptés.
Plus confidentiellement, pour le moment, se met en place, avec l’Agence Decaris, la transformation d’une ancienne abbaye en bibliothèque. Son intervention prend en compte les déplacements du soleil et les inclinaisons des motifs de la plaque de verre. L’interaction des deux, conduira à une sculpture mobile, donnant l’illusion d’un mouvement modifié graduellement, avec apparition et disparition des formes. Des verres en couleurs, des tubes de Plexiglas ou des lentilles de télescope signifiant des cônes de lumière, peuvent se trouver introduits dans cet espace mouvant, ici ou sur d’autres chantiers.
Visiblement, François Vigorie recherche les difficultés et essaye de les vaincre.
L’éblouissement provoqué par l’illusion d’un mouvement paradoxalement immobile, saisi dans l’épaisseur du verre, établit un parallèle avec l’image flottante d’un navire bloqué entre les glaces.
La matière, tordue, plissée, comprimée se soumet aux forces de l’esprit.
L’artiste se joue des frontières artificielles entre les arts et imprime sa trace conceptuelle dans un bloc aux mille regards.
Christian Skimao ©
Critique d’art et Ecrivain
L'ART COMMENCE OU LA MATIÈRE FINIT
La sculpture a connu bien des bouleversements au cours de notre siècle.
L’histoire des arts visuels et notoirement de la sculpture, met en évidence, de nos jours, des lignes de force qui l’acheminent dans des conflits d’aspirations contradictoires.
D’un côté, se profilent les manifestations où l’esprit tente de s’accorder au monde en termes d’ordre et d’harmonie.
De l’autre côté, c’est un nouveau sens du réel qui se dessine, et sur ce versant, tout devient épreuve de connaissance, sacralisation des objets usuels, glorification de l’idée, avancée dans l’inconnu.
C’est dans l’espace du connu, concomitant chez lui à l’espace métaphorique et à celui du songe, que s’inscrit la pratique de François Vigorie.
Pour élaborer sa sculpture, il ne s’appuie ni sur le bois, le bronze, la pierre, le métal, ou les résines synthétiques, mais sur une matière peu employée : le verre.
Dans la filiation des expérimentations sur la transparence initiées par Naum Gabo, il nous propose une suite de métamorphoses pures et cristallines, creusées dans un matériau plutôt rebelle aux manipulations, qui convoque l’imaginaire dans le jeu interne de ses formes sensuelles souvent analogiques.
Cependant, si dans ses stèles harmonieusement ciselées, la figure prend des allures primitives rappelant l’iconographie pré-colombienne, réel et abstraction ne s’opposent pas, mais entretiennent un dialogue équilibré.
Parallèlement, la préciosité de la matière est subtilement entamée, brassée de l’intérieur par strates successives, au moyen d’une étonnante érosion dont seul l’artiste détient les clés.
Ce faisant, une douce luminosité parcourt le modelé des surfaces, s’infiltre dans les anfractuosités, suscite des îlots d’ombre, créant ainsi des tensions qui rehaussent la vive coloration des ces architectures naturelles. Sans maniérisme superfétatoire, délaissant les références au classicisme, Vigorie façonne patiemment des structures primordiales, totémiques ou quadrangulaires, dans une pensée et une technique hors des canons coutumiers, qui dépassent depuis toujours le simple travail artisanal.
Pourtant, la matière en soi, est belle, dense et riche, entre de soudains contrastes et la brillance des épidermes, les transparences et les zones opaques, les arêtes et les arrondis, l’effervescence et le construit, mais tout en subissant les transmutations d’une corrosion insidieuse, jamais ces blocs désormais habités, en cristal d’optique, n’apparaissent déstabilisés. C’est seulement leur signification qui s’en trouve infléchie, lorsqu’elle est livrée à la subjectivité du regard.
Aussi, point de chaos, tout repose sur une organisation fondée sur une réflexion qui témoigne de la spécificité d’une vision et de la maîtrise d’un métier sans cesse approfondi.
Nonobstant, le matériau n’est que le passeur du langage, d’ailleurs, comme le souligne Hadju, « L’art commence où la matière finit ».
Gérard XURIGUERA ©
Critique et historien de l’art
FRANCOIS VIGORIE, UNE TENSION GESTUELLE DÉCISIVE
Si tel le dit Erik Dietman, « tout ce qui fait de l’ombre est sculpture », on peut donc inclure sous sa bannière, nombre de pratiques que son orthodoxie aurait rejetées auparavant.
En effet, depuis au moins deux décennies, l’idée de sculpture communément admise s’est considérablement élargie, allant jusqu’à chevaucher la peinture et à inclure, non sans quelque réticence, les œuvres sur verre dans son paysage.
Longtemps marginalisé, le travail du verre était d’abord envisagé comme un travail fonctionnel ou art d’agrément, souvent réduit à une expression artisanale, aussi poussées soient les avancées de ses conquêtes.
Puis, grâce à l’avènement d’un arsenal de techniques de plus en plus sophistiquées et à des visions plus inquisitrices, pivots d’autres perceptions de la matière et de l’espace, le verre, tout en préservant ses caractères propres, à bientôt dépassé ses limites pour devenir une signalétique à part entière, en se frayant une place légitime au sein de l’éventail si diversifié de la sculpture contemporaine.
François Vigorie appartient à cette catégorie de fervents novateurs qui ont lutté pour la reconnaissance et la réhabilitation du potentiel expressif du verre.
Et ceci dans une solitude et une abnégation exemplaires, dans un pays qui n’a pas de tradition verrière, contrairement à l’Europe de l’Est, la Grande Bretagne, l’Italie, les Pays-Bas, et maintenant les Etat-Unis, aussi loin du simple ouvrage artisanal, sa démarche ne peut que nous attacher, tant par l’efficacité de son processus technique, que par l’impact de son épanouissement esthétique.
Né en Gironde dans un milieu issu de la terre, un grand-père bottier, il est très jeune attiré par les miroitements aquatiques des étangs et l’éclat voilé des roches immergées.
Désormais installé à Paris, il y fait ses études secondaires et suit les cours de l’Ecole Violet en mécanique.
Pourtant, sa vocation est précoce. A seize ans, il réalise une tête en plâtre, mais se refuse à subir l’embrigadement des Beaux-Arts.
Il apprécie certains peintres, notamment Jean Hélion, mais il revendique sa condition d’autodidacte, en poursuivant, d’un coté, sa formation d’ingénieur, dont les acquis scientifiques lui serviront plus tard, et de l’autre, en peaufinant la ligne technicienne et les moyens qu’il se propose d’user dans sa syntaxe.
Il travaille, en 1975 dans un atelier d’encadrement et s’initie à la restauration de cadres, avant de prendre en charge, l’année suivante, la restauration d’un miroir « art déco » et de mener une réflexion sur les méthodes d’argenture ancienne et de peinture sur verre.
Enfin, c’est à la suite de la rencontre avec un artisan parisien, qu’il apprend l’ensemble des techniques d’ornementation vitrière, dont la gravure au jet de sable.
« Je suis parti du trait, souligne Vigorie, mais je ne dessine plus.
J’ai rapidement employé le phénomène physico mécanique du « jet de sable », axe d’une expérimentation dont la synthèse me permets de délaisser le trait au profit de l’abrasion comme agent déterminant de mon écriture. »
Parallèlement , après avoir abordé le mobilier en exécutant des tables basses pourvues de plateaux sculptés à l’envers, rehaussés de peinture et tramés à la feuille d’or, il donne vie à ses premières sculptures au « jet libre ».
Les contacts établis, en 1978, avec Juliette Man Ray, le fortifient dans son engagement et l’amènent à décaper sa démarche.
Successivement passé de la tentation onirique , au pochoir, puis au relief, par le procédé de l’érosion rapide, il affine et fait sienne cette technique longuement mûrie et encore jamais exploitée.
Elle consiste à projeter de l’oxyde d’aluminium sur le bloc de verre industriel ou en dalle, par un jet réglé à une très haute pression, qui attaque et prélève de la matière sous la puissance de l’air comprimé, en façonnant le volume en creux, ou en excroissances, en arêtes ou en stratifications internes ou externes, dont les ossatures évidées réfléchissent une tension gestuelle décisive, puisqu’il n’y a pas ici de droit à l’erreur.
Il arrive également à Vigorie , selon les projets, d’intervenir sur ses épidermes avec une pointe acérée et des pochoirs, technique datant de 1880, qu’il soumet à ses pouvoirs métaphoriques.
Par le biais de l’érosion rapide, il dépiaute, creuse, mais ne rajoute pas, l’absence de matière créant à la fois le volume et l’image, sans prêter aucune attention aux analogies fortuitement révélées.
Le rapport aux apparences n’entre pas dans ses visées, même si des formes organiques s’agrègent parfois au matériau, parce qu’il doit œuvrer à chaud, dans l’urgence de ses sensations, avant de confier ses compositions au polissage, en prenant soin de conserver intacte la partie ouvragée.
Quant aux partions chromatiques, qui apportent leurs nuances variées à la limpidité du verre, elles sont l’objet d’une préparation industrielle étudiée, mais Vigorie leur préfère le blanc, qu’il traite à l’égal d’une couleur, sur laquelle tranche les amputations érodés, torsadées ou froissées de certaines parties de la surface.
Au sein de ces périmètres simultanément lustrés et à l’état brut, où une infime fraction est obligatoirement régie par les impositions du matériau, on est loin de l’abandon et de l’aléatoire, tout est contrôlé d’un bout à l’autre de la structuration de la pièce.
Outillage en main, concentré sur les forces de son expérience et de sa pensée, c’est en priorité l’artiste qui décide des cambrures, des affaissements, des boursouflures, des striures ou des pliures de ses armatures translucides, qui jouent en permanence sur l’opacité et la transparence, le poli et l’accidenté, voire l’éclaté.
Au fil de ses volumes en perpétuel enfantement, où la lumière est consubstantielle de la forme et où le noyau de la forme n’a pas d’encrage défini, Vigorie nous parle de la transcendance du vivant dans l’inerte.
En liant esprit et matière dans cette montée vers la lumière, qui exhale ses sentiments intimes et son sens de l’humain, car « la transparence, mentionne-t-il, c’est comme la nature humaine », il émet non seulement des énergies primordiales, mais il traduit aussi le mystère de la découverte qu’il fait peu à peu de lui-même, et des virtualités de son matériau d’élection .
Gérard Xuriguera ©
Critique et historien de l’art
FRANCOIS VIGORIE, MAÎTRE DE LUMIÈRE
Souvent au cours de mes pérégrinations à travers les solitudes du plateau de Xantrie, en Corrèze, il m’est arrivé de songer à la surprise terrifiée des pasteurs du néolithique du village de Sermus : à la suite d’un incendie de forêt leurs remparts avaient pris une apparence et une consistance étranges en se vitrifiant sous l’effet de la chaleur.
La nature venait d’inventer le verre ; il restait à l’homme le soin de mettre cette découverte à profit. C’est ainsi que les premiers artistes de Sumer ont pu contempler les grandes ziggourats d’entre les Deux Fleuves à travers la transparence d’une coupe.
François Vigorie qui nous présente aujourd’hui ses œuvres, est plus qu’un artiste « du verre » : un maître de la lumière. Il l’apprivoise, l’enferme dans des limites strictes comme dans un aquarium, fait bouger en elle de subtiles anamorphoses, des formes oniriques.
Le travail du verre constitue le seul art qui sollicite la totalité du regard. Une peinture, une sculpture de bois ou de pierre, on les contemple.
Les œuvres de François Vigorie, on les pénètre : elles nous prennent pour ainsi dire par la main pour nous conduire au cœur de la matière, vers ce point G où se déclenche l’émotion.
Surpris, perturbé par ces potentialités nouvelles, « le spectateur » se trouve en face d’une opération magique où, malgré le mystère, tout est concret, lisible, adaptable à sa sensibilité par les diverses interprétations qu’il peut dégager de l’œuvre.
François Vigorie , maître de la lumière ? Certes, mais il est aussi maître d’un art qui se projette au delà de cette définition sommaire. Ces formes cubiques brisées par les ruptures de la surface extérieures, ces profondeurs à travers lesquelles on s’attend à voir paraître l’artiste attaquant au jet de sable dans sa tenue de cosmonaute, sont autre chose et mieux qu’un jeu. La quatrième dimension, à la fois spatiale et temporelle, ouvre la porte au mouvement, donc au temps. Grâce à François Vigorie , la nature peut se permettre des états d’âme.
Cet artiste nous convie à admettre que l’homme à besoin de cette transparence du verre : outre qu’elle capte et maîtrise la lumière , elle augmente les capacités du regard , élargit le champs de vision, célèbre en noces de cristal une nouvelle alliance de l’artiste et de la matière.
Michel Peyramaure ©
Écrivain et Romancier Français